Mercredi, la chambre des communes du Royaume Uni, l’équivalent de notre assemblée nationale, débattait sur l’opportunité ou non d’effectuer des frappes aériennes en Syrie pour lutter contre Daesh. Les députés travaillistes (dans l’opposition) sont divisés sur la question : certains, dont Jeremy Corbyn, le leader du parti, sont contre tandis que d’autres, dont Hilary Benn, sont pour. Regardez son intervention.
L’intervention d’Hilary Benn ce mercredi était absolument remarquable, pour trois raisons :
- L’utilisation de son corps (le non verbal)
- L’utilisation de sa voix (le paraverbal)
- La construction de son discours, ses mots (le verbal)
Le non verbal : une gestuelle appropriée
Le discours politique derrière un pupitre a souvent tendance à être très figé. En France, à part quelques excellents orateurs, tels que Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Sarkozy ou Christiane Taubira, les politiciens ont tendance à s’accrocher à leur pupitre et à dégager une certaine raideur. C’est ce que fait également Hilary Benn dans les trois premières minutes, mais son discours prend beaucoup plus d’ampleur dès la quatrième, lorsque ses mains se « libèrent ». Il a une fluidité et une souplesse corporelle, un peu à la manière de Barack Obama. Cependant, il devrait s’inscrire plus dans la verticalité. La lecture de ses notes le fait paraître un peu « ramassé ».
Ici, Hilary Benn utilise un type de gestes particulier : les gestes ponctuateurs. Au contraire des gestes métaphoriques, ceux-ci n’ont pas de signification précise mais rythment le discours par un martèlement sur la table ou un geste répété en l’air. Il l’utilise de manière très efficace notamment dans un moment extrêmement poignant, lorsqu’il égrène la liste des récentes attaques entre 6’10’’ et 6’45’’. Il tape avec son index sur son pupitre puis agite le doigt en l’air. « Nous savons qu’ils ont tué (index pupitre) 30 touristes britanniques en Tunisie, (index pupitre) 224 vacanciers russes dans un avion, (index pupitre) 178 personnes dans un attentat suicide à Beyrouth, Ankara et Suruç. (index pupitre) 130 personnes à Paris, (index pointé en l’air) y compris ces jeunes gens au Bataclan que Daesh (index pointé en l’air) en voulant justifier leur massacre sanglant (index pointé en l’air jusqu’à la fin) a appelé des ‘idolâtres s’adonnant à la prostitution et au vice’. Si cela s’était passé ici, ç’aurait pu être nos enfants. »
A l’inverse, les gestes métaphoriques, ceux qui illustrent le propos sont rares. Ceci confirme une étude du psychologue Gabriel Argentin qui tend à montrer que les politiciens utilisent en majorité les gestes ponctuateurs, d’autant plus qu’ils sont à droite de l’échiquier politique. La posture de Hilary Benn dans ce cas de figure pouvant être considérée comme étant à « droite » du parti travailliste, l’utilisation de gestes ponctuateurs en nombre est cohérente.
Le paraverbal : l’art de la rupture
Qui ne s’est pas endormi devant un discours de François Fillon ou de Ségolène Royal ? On le sait : il est difficile de maintenir l’attention du public plus de dix minutes, à moins d’avoir recours à des « effets » de comédien. Hilary Benn utilise à la perfection les ruptures : il s’agit d’un changement remarquable dans le volume, le débit ou l’émotion transmise par la voix. Il peut également s’agir d’un silence, qui est un peu tout ça à la fois.
On retrouve une de ces ruptures par exemple à 8’27’’ : « (persuasif et appuyé) Bien entendu, on ne vaincra pas Daesh avec uniquement des frappes aériennes. (plus doux, moins fort, moins vite) Mais elles font la différence. Parce qu’elles leur font passer des sales moments et cela leur est plus difficile (de nouveau appuyé) d’étendre leur territoire. »
Des exemples comme celui-ci, il y en a des dizaines au cours des 14 minutes que dure son intervention. Il passe ainsi essentiellement de la détermination appuyée à la gravité habitée en variant l’intensité de ces deux postures. C’est d’autant plus remarquable qu’il est difficile d’être sincère et naturel lorsque l’on lit un discours, ce qui est le plus courant en politique.
Le député Hilary Benn aurait certainement été encore plus percutant s’il avait osé jouer avec les silences. C’est peut-être la seule chose qu’on peut lui reprocher quant à l’utilisation de sa voix. «Lorsqu’on vient d’entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui. » disait Sacha Guitry. Il manque les silences du député Benn.
Le verbal : un discours bien construit
Le message principal d’Hilary Benn est limpide : il faut faire des frappes aériennes maintenant. Mais en bon orateur, il sait que marteler ce message ne suffit pas et qu’il lui faut emmener avec lui les plus hésitants grâce à une démonstration implacable.
Il commence à susciter l’intérêt par une accroche « mise en scène ». Voici les mots qu’il prononce :
« Merci, merci beaucoup. Mister Speaker, avant d’entrer dans le débat, je voudrais m’adresser directement au premier ministre et lui dire ceci (…) [Jeremy Corbyn] n’est pas un sympathisant des terroristes, il est honnête, il a des principes, il est honorable et c’est un homme bon. Et je pense que le premier ministre doit à présent regretter ce qu’il a dit hier, et regretter de ne pas avoir fait ce qu’il aurait dû faire aujourd’hui, simplement dire ‘je suis désolé’. »
L’attention des députés est à son maximum grâce à cette tension créée par Hilary Benn. Le silence se fait d’ailleurs immédiatement après la phrase « je voudrais m’adresser directement au premier ministre ». Et puis les fameux « yeaaaah » ponctuent les saillies les mieux senties du député travailliste.
Après cette accroche, le discours est construit autour de trois idées maîtresses qui lui permettent d’accompagner son auditoire sur le chemin qui va les emmener à adopter son message principal : « il faut faire des frappes aériennes maintenant ». Voici ce chemin :
- La situation est critique
- Les frappes aériennes sont utiles
- Nous sommes face à des fascistes
Son discours n’est pas un discours purement théorique : il s’appuie concrètement sur des faits, des noms qui renforcent l’aspect émotionnel de ce qu’il vient affirmer :
- Il livre les noms des circonscriptions des députés ayant contribué au débat par leur intervention pour ou contre les frappes aériennes (« les représentants de Derby South, Kingston upon Hull West et Hessle, Normanton, Pontefract et Castleford, Barnsley Central », etc.)
- Il donne les noms des villes en Grande-Bretagne où le carnage qui a eu lieu à Paris aurait tout aussi bien pu avoir lieu (Londres, Glasgow, Leeds, Birmingham)
- Il « raconte » les histoires des attaques et attentats commis par Daesh (« 4 hommes homosexuels ont été jetés du 5ème étage d’un immeuble à Deir ez-Zor en Syrie », « au mois d’août, le gardien du site antique de Palmyre, qui avait 82 ans, a été décapité », etc.)
- Il cite le nom de François Hollande, « le leader de notre parti socialiste frère »
- Il lit un passage du témoignage du représentant du Kurdistan à Londres
- Il raconte comment la Grande Bretagne a combattu Franco, Hitler et Mussolini
Enfin il conclut avec un appel à action clair : « Il est à présent temps de prendre notre part en Syrie. C’est pourquoi je demande à mes collègues de voter ce soir pour la motion ». Et il se rassoit sous les applaudissements et les « yeaaaaah » des deux côtés de l’assemblée. Il aurait certainement été encore plus efficace si avant cet appel à action, il avait résumé son intervention afin d’ancrer les messages dans le cœur et le cerveau de ses collègues. Trois phrases simples et courtes telle que celles-ci : « Nous l’avons vu, la situation est plus que critique et nous n’avons pas d’autre choix que de lutter contre le terrorisme. Nous le savons, les frappes aériennes sont très efficaces et le seront contre Daesh. La Grande-Bretagne a toujours choisi de combattre les dictatures et les fascismes. »
C’est donc par l’utilisation de gestes ponctuateurs, de ruptures dans le discours et par un raisonnement bien construit avec une forte charge émotionnelle que le député Hilary Benn a produit un discours cohérent et convaincant. Le fameux flegme britannique n’était pas ce jour-là dans la retenue, mais bien dans le suivi d’une route bien tracée sur laquelle il n’y avait aucune digression, aucun élément parasite et surtout une vraie sincérité.
Et vous, qu’auriez-vous fait à la place des députés travaillistes ? Auriez-vous suivi Hilary Benn ou Jeremy Corbin ?
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